“Delahaye”
par Manfred de la Motte
La mise en route vers l’art moderne continue. Dans la sculpture et dans la peinture une sorte de style actuel s’est imposé à la conscience d’une grande partie du public, quand même cette notion de style, qui donne une certaine sûreté au spectateur, est constamment mise en question par des artistes qui ne suivent pas une tradition récemment constituée, mais qui - voyant loin - s’occupent d’un lendemain qui se présente comme l’image renversé de la présence. Parmi eux Jacques Charles Delahaye qui - pour le moment - fut rarement exposé en Allemagne, bien qu’il se présente dans tous les ouvrages de référence de la sculpture moderne. Ses œuvres ne provoquent pas un choc et ne naissent pas d’un «truc» révolutionnaire.
Vu du titre c’est «homme et animal», alors figuratif, peut-être même représentant des actions (Bataille de chevaux) - mais seulement vu du titre! Presque toutes les sculptures d’animaux de ce siècle, de Brancusi à Marini, étaient des emblèmes d’animaux, des réductions au fondamental, des abstractions des détails multiples vers l’obligatoire. Cette prétention d’une volonté de la représentation d’un animal en soi n’existe pas chez Delahaye. Tous ses titres sont un prétexte parce qu’il ne travaille pas d’une manière figurative, mais il ne manifeste que soi-même. Son célèbre «Chat» de 1952, exposé à la Dokumenta II, marque déjà son manque d’intérêt envers toute anatomie, image où forme symétrique. Le «Chat» est une série de structures réalisée en bronze par des différentes maniéres, une série de nombreux détails qui produit en tout cette dynamique s’élançante qui justifie le titre.
Après que la sculpture fut pendant des longues années dominée par des thèmes et des problèmes, il surgit quelque chose de nouveau, une indépendance de programme et de conception préfabriquée; même le développement continuel au sein de l’œuvre lui-même n’est pas perceptible. Le plus faible les liens d’un artiste aux traditions, programmes et styles, le plus essentiel la nécessité de son côté de travailler avec toute son imagination personnelle. Les sculptures de Delahaye ne manifestent plus une forme intégrale, ni dans le sens d’un volume monolithique, où l’énergie plastique s’étend de l’intérieur de la sculpture dans l’espace, ni dans la forme elle-même, quand on y comprend une œuvre définie par l’espace qui l’entoure ou - à l’envers - comme une sorte de point d’exclamation dans l’espace. Chez Delahaye rien n’est défini, mais au même temps ni dégagé ni imprécis - on n’y voie rien d’Arp ni de Calder. Il manque aussi l’achévement définitif et même une chose essentielle pour chaque œuvre d’art: le problème même et la résolution rayonnante du problème. Mais qu’est-ce qu’il y est - après toutes ces délimitations négatives?
Sa manière d’agir est une épreuve d’action coagulée en forme sculpturale, figée en événement plastique. Les sculptures de Delahaye sont multiples et pas univoques. Elles témoignent comment Delahaye se comprend comme artiste et donnent la réponse à tous ce qui le frappe au cœur. Des écales se forment autour d’un noyau supposé, se développent, comme des boutons ou des feuilles, se renferment en gardant une forme définitive. De temps à l’autre le matériel semble être défiguré par ses propres mains au point d’être méconnaissable (Eduard Trier dans son livre «Figur und Raum»). Rarement le bronze est travaillé jusqu’à des formes pareilles. Ses sculptures se trouvent dans un processus singulier, plus action que repli en soi. Ainsi la série des «Samurais» fut créée, pleins de tension et de violence jusque dans les muscles, prêts à l’action immédiate. Mais ils sont donnés dans un moment de tranquillité inquiétante, capables de tout et tellement explosifs qu’on s’étonne que ces sculptures ont besoin d’un socle. Tout ce que l’on appelait jusqu’aujourd’hui la masse et le volume, chez Delahaye c’est la dynamique dirigée dans une certaine direction. Et à l’inverse dans la dynamique multiple et même opposée on retrouve un calme reposant qui se transforme dans un sens du volume. L’agitation est si omnipotente et conséquente qu’elle termine par se changer en son inverse. Delahaye est extrêmement expressif, pas dans son style mais dans son geste, sa pose.
L’œuvre se transforme en processus par Delahaye, et le spectateur est obligé de suivre ses intentions. La réception du public suit l’intention de l’artiste de se préoccuper des voies complexes, de retracer le montage des écales contournant un centre ou formant un tout, ou d’identifier les déchirures, les runes, et les lignes et de les vérifier concernant leurs fonctions de jonction et de séparation. Les sculptures de Delahaye sont des partitions pour un public attentif, qui comprend une sculpture comme aventure et comprend en même temps les tendances de l’art actuel.
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